Gilets jaunes & ingérence russe : info ou infox ?

Les réseaux sociaux à l’heure de la cyberguerre

Les réseaux sociaux à l’heure de la cyberguerre

21 février 2019

C’est une question qui revient régulièrement et qui a fait l’objet de plusieurs articles dans la presse : la Russie a-t-elle tenté d’influer sur le mouvement des Gilets Jaunes ? Selon le Secrétaire d’Etat du Numérique Mounir Mahjoubi, la DGSI serait en train de vérifier ces informations. Le Président de la République Emmanuel Macron quant à lui a été bien plus direct : “Il est évident que les Gilets jaunes les plus radicalisés ont été conseillés par l’étranger”. Il évoque même des gens qui “achètent des comptes, qui trollent”.

Soyons direct et franc : il est très difficile de prouver ou d’incriminer à 100% un Etat, mais il existe des faisceaux de preuve.

Direction la Russie

Tous ceux qui ont un jour rencontré Vladimir Vladirovitch Poutine vous le diront : c’est un homme intelligent. C’est un militaire, il est bien plus pragmatique qu’on ne le pense. Une de ses qualités est de s’adapter au terrain, de combler les vides.

A partir de 2004, quand les relations entre l’Europe et la Russie se sont détériorées, Vladimir Poutine a changé son approche vis à vis de l’Europe en adoptant une stratégie bien plus offensive sur tous les terrains, dont la cyber guerre. L’Europe n’ayant qu’une doctrine défensive, Vladimir Poutine n’a donc fait que combler un certain vide.

Cyberguerre

Le chef d’orchestre de la cyber guerre en Russie c’est Sergueï Choïgou, le tout puissant Ministre de la Défense. C’est l’homme de confiance de Vladimir Poutine et, dit-on, celui qui lui succédera. En 2013, Choïgou déclarait : “Au Kremlin nous voyons les médias de masse (ndla : télévision et réseaux sociaux) comme une arme”. C’était lors de l’inauguration d’un département consacré à la Guerre de l’Information – une entité spécialisée dans la contre-propagande, le piratage informatique et la diffusion de fausses nouvelles. Les informations font état de 30 à 40 000 personnes officiant dans cette entité. Fort de ses succès, elle a d’ailleurs gagné le surnom d’usine à troll.

Celui qui a inspiré ce programme s’appelle Valery Gerasimov, le chef d’Etat major de l’armée russe. Il n’a rien d’un geek, c’est lui qui a théorisé la notion de guerre hybride : “Les règles de la guerre ont changé. Des moyens non militaires peuvent se révéler plus efficaces que le recours à la force et servir des objectifs stratégiques”.

vladimir poutine

La doctrine : intervenir et affaiblir

Le premier fait de guerre de ce département, c’est la désinformation massive lors de la prise de Crimée en Ukraine en 2014. On retrouve sa trace en Finlande dès 2014, dans les élections américaines en 2016, contre l’Otan, en Lituanie, en Hongrie et aussi bien sûr en France lors des élections de 2017, et dernièrement lors des élections américaines de mi-mandat en 2018. Rien de surprenant à vrai dire, c’est la doctrine russe : intervenir partout où il est possible d’intervenir pour affaiblir l’adversaire. De plus, les tentatives d’ingérence ont un point commun, elles surfent sur un phénomène existant : elles ne créent pas l’incendie, mais elles soufflent sur les flammes.

Affaiblir l’adversaire : vieille stratégie, nouveaux outils

Quand on parle de cyberguerre, la croyance classique est de penser qu’il s’agit d’un organe de propagande visant à glorifier la Russie. C’est faux : il s’agit bien moins de convaincre que d’affaiblir. En effet l’objectif russe est d’amplifier les divisions internes, de creuser et d’appuyer sur les lignes de fractures.

Le Kremlin joue ainsi de cette façon sur sa popularité et sa légitimité, en dénigrant tout ce qui est défini par le Kremlin comme une forme de décadence.

Réponse française

Emmanuel Macron déclarait en décembre : “Les structures autoritaires nous regardent en se marrant. Il ne faut pas se tromper. On est d’une naïveté extraordinaire.”
Un agent de la DGSE nous le confirmait : “Derrière le terme les structures autoritaires du Président de la République, c’est la Russie qui est directement visé. Ce n’est un secret pour personne que Vladimir Poutine se moque ouvertement des Européens sur le sujet. Ça fait marrer les russes”.

Mais concrètement, que disent les chiffres ? Sur la période du mois de décembre, nous avons analysé près de 500 000 tweets. Ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il y a eu des tentatives d’ingérence liées à la Russie. On trouve également la trace de groupuscules italiens et turques, ainsi que de l’alt-right américaine. Ce qui différencie les acteurs russes, c’est qu’ils sont tous liés, de près ou de loin, au Kremlin.

Mais tout n’est pas noir : ainsi il y a moins de trois semaines, la France présentait sa doctrine pour la cyberguerre et hissait l’arme numérique au rang des armes classiques. Enfin, la France fait preuve d’un peu de moins de naïveté ! Mais cela annonce-t-il changement à venir de la part des stratèges russes ?

Alors que la Russie est intervenue partout à travers le monde, la question n’est donc pas de savoir si elle est intervenue ou non dans la crise des Gilets jaunes, mais quel intérêt avait-elle de ne pas intervenir ? La réponse est limpide : aucun.

Evasion fiscale : l’Empire (du Milieu) contre-attaque

Divertissement et Exemplarité

Divertissement et Exemplarité

4 février 2018

Il y a 5 ans presque jour pour jour, l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) révélait l’ampleur de l’évasion fiscale en Chine. Pointés du doigt, certains “princes rouges” et autres grandes richesses étaient accusés d’avoir recourt à de nombreux paradis fiscaux.

Bref, il y avait de l’eau dans le gaz… mais apparemment pas assez pour faire bouger les choses.

Seulement en 5 ans, le monde a changé. Et alors qu’il était jadis encore relativement aisé de faire taire les rumeurs, l’emprise des réseaux sociaux et d’internet sur la société post-moderne chinoise a changé la donne. Et aujourd’hui, dans une certaine mesure, notoriété peut enfin se permettre de rimer avec exemplarité.

Le symbole de cette amorce, c’est l’affaire Fan Bingbing. En effet, mi septembre 2018, la disparition de l’actrice chinoise avait intrigué une partie de l’industrie du cinéma. La star, réputée pour son rôle dans I am not Madam Bovary (pour lequel elle a remporté un Asian Film Award) mais aussi pour quelques petites apparitions à l’international (notamment dans X-Men : Days of Future Past), semblait avoir été rattrapée par de vieux démons… Flashback.

Il était une fois en Chine

Début juin 2018.
Cui Yongyuan, célèbre présentateur télé, dévoile sur l’ultra populaire réseau social Weibo que l’une des plus grandes vedettes du cinéma chinois, Fan Bingbing, a signé un contrat “yin-yang” pour le tournage de son dernier film. Le principe de ce système très répandu en Chine est plutôt simple : le créancier signe deux contrats de deux sommes différentes pour un même travail (dans ce cas 10 millions RMB et 50 millions RMB), et ne déclare que celui dont la somme est la plus petite.

Mi août 2018.
Depuis l’éclatement de l’affaire, les autorités resserrent les boulons à tous les niveaux du secteur (cinéma, télévision, radio, internet). Mais l’absence médiatique de Fan Bingbing commence à inquiéter ses fans : pas de sorties publiques, et plus aucune activité sur les réseaux sociaux.

Mi septembre 2018.
Le silence de l’actrice, couplé à celui des autorités, continue de faire tourner le moulin à rumeurs. Cette fois-ci, on suppose que Fan Bingbing aurait été arrêtée. Du côté de Hollywood, on commence à se demander si la star pourra figurer au casting de 355 aux côtés de son amie Jessica Chastain… Surtout, se posent les questions de ses devoirs en tant qu’ambassadrice de grandes marques : Guerlain, Louis Vuitton, De Beers… Prudent, Montblanc aurait d’ailleurs déjà lâché l’actrice !

salle de cinéma chine

La princesse du désert

Début octobre 2018.
Quatre mois plus tard, Fan Bingbing fait enfin son grand retour – la tête basse. L’Administration des Taxes annonce en effet que la star devra payer à l’Etat “plusieurs centaines de millions de yuans” – une agence de presse officielle évoque 114 millions d’euros (883 millions RMB).

L’enquête, elle, indique qu’en plus des contrats “ying-yang”, différentes méthodes d’évasion fiscale sont fréquemment employées par les stars et leurs représentants légaux, sans oublier les nombreuses brèches consistant à implanter des compagnies dans des régions de Chine à faible fiscalité.

Dans tous les cas, Fan Bingbing est officieusement libérée de sa “détention résidentielle” – une station de vacances utilisée par les autorités pour interroger les dissidents. Et la vie reprend son cours : il suffit en effet à l’actrice de payer ce qu’elle doit pour éviter les poursuites. Dans la foulée de cette affaire, le gouvernement impose aux stars et aux firmes de revoir leurs comptes post-2016 : ceux qui reconnaîtront leurs torts et accepteront de payer seront pardonnés.

Hero

Fin janvier 2019.
Par le biais d’un communiqué, l’Administration des Taxes annonce que la campagne a porté ses fruits : c’est en effet 1,5 milliard d’euros (11,7 milliards RMB) qui viennent d’être récupérés auprès de l’industrie du divertissement – un chiffre qui équivaut à 20% du box office chinois de 2018 !

On le voit donc, la nécessité d’exemplarité est devenue primordiale. A travers ses vedettes et ses figures publiques, la Chine tente de se corriger et se rassurer. Surtout, ce que cette affaire démontre, c’est que la volonté de purifier les pratiques fiscales provient directement du peuple : en effet, les réseaux sociaux sont devenus un inestimable porte-voix pour les lanceurs d’alerte – à plus forte raison dans un pays où subsiste un Département de la Propagande.

Quid de la suite ? L’administration étendra-t-elle ses enquêtes aux secteurs de l’industrie et de la politique ? Saura-t-elle choisir entre responsabilisation et sanction ? Dans tous les cas, la société chinoise est à un tournant ; chez les élites comme chez le peuple, le concept de confiance est aujourd’hui poussé à son paroxysme. Quel sera le réel impact de l’Intelligence Artificielle et du système de notation sur la Chine et sur le monde ?

La réflexion ne fait que commencer (article à suivre).