Les réseaux sociaux à l’heure de la cyberguerre
C’est une question qui revient régulièrement et qui a fait l’objet de plusieurs articles dans la presse : la Russie a-t-elle tenté d’influer sur le mouvement des Gilets Jaunes ? Selon le Secrétaire d’Etat du Numérique Mounir Mahjoubi, la DGSI serait en train de vérifier ces informations. Le Président de la République Emmanuel Macron quant à lui a été bien plus direct : “Il est évident que les Gilets jaunes les plus radicalisés ont été conseillés par l’étranger”. Il évoque même des gens qui “achètent des comptes, qui trollent”.
Soyons direct et franc : il est très difficile de prouver ou d’incriminer à 100% un Etat, mais il existe des faisceaux de preuve.
Direction la Russie
Tous ceux qui ont un jour rencontré Vladimir Vladirovitch Poutine vous le diront : c’est un homme intelligent. C’est un militaire, il est bien plus pragmatique qu’on ne le pense. Une de ses qualités est de s’adapter au terrain, de combler les vides.
A partir de 2004, quand les relations entre l’Europe et la Russie se sont détériorées, Vladimir Poutine a changé son approche vis à vis de l’Europe en adoptant une stratégie bien plus offensive sur tous les terrains, dont la cyber guerre. L’Europe n’ayant qu’une doctrine défensive, Vladimir Poutine n’a donc fait que combler un certain vide.
Cyberguerre
Le chef d’orchestre de la cyber guerre en Russie c’est Sergueï Choïgou, le tout puissant Ministre de la Défense. C’est l’homme de confiance de Vladimir Poutine et, dit-on, celui qui lui succédera. En 2013, Choïgou déclarait : “Au Kremlin nous voyons les médias de masse (ndla : télévision et réseaux sociaux) comme une arme”. C’était lors de l’inauguration d’un département consacré à la Guerre de l’Information – une entité spécialisée dans la contre-propagande, le piratage informatique et la diffusion de fausses nouvelles. Les informations font état de 30 à 40 000 personnes officiant dans cette entité. Fort de ses succès, elle a d’ailleurs gagné le surnom d’usine à troll.
Celui qui a inspiré ce programme s’appelle Valery Gerasimov, le chef d’Etat major de l’armée russe. Il n’a rien d’un geek, c’est lui qui a théorisé la notion de guerre hybride : “Les règles de la guerre ont changé. Des moyens non militaires peuvent se révéler plus efficaces que le recours à la force et servir des objectifs stratégiques”.

La doctrine : intervenir et affaiblir
Le premier fait de guerre de ce département, c’est la désinformation massive lors de la prise de Crimée en Ukraine en 2014. On retrouve sa trace en Finlande dès 2014, dans les élections américaines en 2016, contre l’Otan, en Lituanie, en Hongrie et aussi bien sûr en France lors des élections de 2017, et dernièrement lors des élections américaines de mi-mandat en 2018. Rien de surprenant à vrai dire, c’est la doctrine russe : intervenir partout où il est possible d’intervenir pour affaiblir l’adversaire. De plus, les tentatives d’ingérence ont un point commun, elles surfent sur un phénomène existant : elles ne créent pas l’incendie, mais elles soufflent sur les flammes.
Affaiblir l’adversaire : vieille stratégie, nouveaux outils
Quand on parle de cyberguerre, la croyance classique est de penser qu’il s’agit d’un organe de propagande visant à glorifier la Russie. C’est faux : il s’agit bien moins de convaincre que d’affaiblir. En effet l’objectif russe est d’amplifier les divisions internes, de creuser et d’appuyer sur les lignes de fractures.
Le Kremlin joue ainsi de cette façon sur sa popularité et sa légitimité, en dénigrant tout ce qui est défini par le Kremlin comme une forme de décadence.
Réponse française
Emmanuel Macron déclarait en décembre : “Les structures autoritaires nous regardent en se marrant. Il ne faut pas se tromper. On est d’une naïveté extraordinaire.”
Un agent de la DGSE nous le confirmait : “Derrière le terme les structures autoritaires du Président de la République, c’est la Russie qui est directement visé. Ce n’est un secret pour personne que Vladimir Poutine se moque ouvertement des Européens sur le sujet. Ça fait marrer les russes”.
Mais concrètement, que disent les chiffres ? Sur la période du mois de décembre, nous avons analysé près de 500 000 tweets. Ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il y a eu des tentatives d’ingérence liées à la Russie. On trouve également la trace de groupuscules italiens et turques, ainsi que de l’alt-right américaine. Ce qui différencie les acteurs russes, c’est qu’ils sont tous liés, de près ou de loin, au Kremlin.
Mais tout n’est pas noir : ainsi il y a moins de trois semaines, la France présentait sa doctrine pour la cyberguerre et hissait l’arme numérique au rang des armes classiques. Enfin, la France fait preuve d’un peu de moins de naïveté ! Mais cela annonce-t-il changement à venir de la part des stratèges russes ?
Alors que la Russie est intervenue partout à travers le monde, la question n’est donc pas de savoir si elle est intervenue ou non dans la crise des Gilets jaunes, mais quel intérêt avait-elle de ne pas intervenir ? La réponse est limpide : aucun.
Retour